Le Cuirassé Pouchkine #07
€10.00
Opus #07
Auteur : Maxime Lamiroy
Titre : Le Cuirassé Pouchkine
Collection OPUS
Parution : 12 mars 2025
ISBN : 978-2-87595-975-1
Prix : 10 €
Les premiers jours de l’offensive russe guidèrent mes pas vers le Cuirassé Pouchkine. Mon regard se posait sur tout le quartier que je connaissais bien avec un sentiment d’émerveillement face à la simplicité des choses. Des gens marchaient, papotaient sur des bancs, faisaient du shopping, mangeaient dans des restaurants. Toutes ces actions quotidiennes qui me laissaient indifférent avaient pris une profondeur, une beauté. À trois cents kilomètres de Bruxelles, dans une ville surpeuplée, dans un vieil amphithéâtre, un professeur d’université expliquait que les choses ne sont appréciées à leur juste valeur qu’à leur disparition, que leur importance se révèle par le sentiment de perte. Le simple fait de savoir qu’en Ukraine, tout le quotidien avait brusquement été interrompu par la guerre, que cela pouvait nous arriver à Bruxelles, rendait précieux à mes yeux ce que j’avais toujours connu : la paix.
Maxime Lamiroy, philosophe, écrivain, éditeur et traducteur du russe, nous a quittés en juillet 2024, nous laissant plusieurs textes inédits et celui-ci, un des plus récents, nous fait voyager dans son univers littéraire sensible et original.
Écrivain de l’océan et non écrivain de piscine (Le Carnet et les Instants)
La passion de la littérature, de la culture russe, l’existence aimantée par la magie des Lettres sous-tendent le récit Le Cuirassé Pouchkine, qui figure au nombre des nombreux inédits laissés par Maxime Lamiroy, un jeune écrivain, philosophe, traducteur et éditeur qui nous a quittés en juillet 2024. Nous retrouvons les parfums qui composent ses autres textes (Deux sœurs, Les juges pénitents…) et dessinent un univers à la lisière de l’onirisme et du réel. Virtuose de la mise en abyme, Maxime Lamiroy livre des fragments autobiographiques éloignés du courant hégémonique de la littérature du « je », décantés dans un au-delà de l’auto-fiction. Aiguillé par Mathieu, un ami slavophile qu’il connut durant ses études de langue et de littérature russes, le narrateur s’adonne à une quête qui a pour décor le centre-ville de Bruxelles et pour but la librairie « Le Cuirassé Pouchkine », un lieu dédié aux Lettres russes. Le piéton de Paris de Léon-Paul Fargue devient un piéton bruxellois infatigable qui sillonne la rue de Flandre, la place Sainte-Catherine, la galerie des Princes avec la soif d’un bibliophile qui pose une équivalence secrète entre déambulations géographiques et pérégrinations mentales et romanesques.
Le réalisme se voit déporté par un climat moins irréel que surréel ; située rue du Peuplier, la librairie russe dont le nom rappelle le Cuirassé Potemkine scintille comme un rosebud dont il revient au narrateur de percer le mystère. Sur fond de pandémie et de confinement, de guerre entre la Russie et l’Ukraine, d’enchâssements de micro-récits consacrés aux auteurs russes traduits par le narrateur, le titre dévoile une de ses nombreuses significations : habiter l’espace de la littérature, vivre en littérature, c’est grimper dans un cuirassé révolutionnaire et faire de la bibliothèque du monde une cuirasse protectrice.
Trois personnes retirées du monde, barricadées par des masses de papier, contenant toutes du texte, rien que du texte, parfois des images. Au-dehors, souffrances, réjouissances, exodes, asphyxies, quotidiens divers et variés.
Des pages éblouissantes enchâssent une discussion sur l’ouverture de Lenz de Georg Büchner, sur l’interprétation qu’en donna Paul Celan. Cette conversation que le narrateur surprend dans une librairie « Het Ivoren Aapje »/ « Le Petit Singe d’Ivoire » exemplifie le recours au récit-gigogne, la dimension métafictionnelle d’un texte qui, à l’instar des Deux sœurs, interroge les pouvoirs du verbe. L’enquête menée à propos de la librairie « Cuirassé Pouchkine » revêt une dimension existentielle et initiatique. Elle se clôt par un finale qui, tissant deux motifs, parachève et aiguise le dispositif textuel des poupées russes. Le premier motif, bouleversant, a trait au décès d’une libraire, Brigitte, aux côtés de qui le narrateur travaille. Lisant les lignes que Maxime Lamiroy consacre à la disparition de Brigitte, à la manière dont son existence se prolongera et survivra dans la mémoire de ses proches, on ne peut pas ne pas songer à la mort de Maxime Lamiroy, comme si les deux morts se superposaient.
À tout moment, toute existence peut être ramenée à la vie par la trace qu’elle a laissée.
Par les écrits inédits qu’il nous lègue, Maxime Lamiroy est rendu à l’existence. Développé dans les dernières pages, le deuxième motif développe la vision de la littérature que l’auteur a théorisée dans le mouvement où il l’a mise en œuvre. L’ombilic et l’ambition de son entreprise sont ressaisis, portés à la lumière et la concrétisation fictionnelle épouse le principe qui préside à une remise en jeu des forces de la littérature.
Notre éduction concernant la littérature est assez semblable à celle que nous réservons à la natation. On nous apprend à nager dans les piscines (…) La vision globale, celle que nous enseignons aux enfants, est une littérature de piscine. Le texte raconte une histoire, il trace une ligne à travers le temps, parfois morcelée qu’il faut reconstituer.
Il existe une autre façon d’écrire, mais aussi de lire, celle qu’expérimentent les personnes qui, à l’étroit dans l’artificialité des piscines et des eaux domestiquées, préfèrent le grand large, l’océan Littérature où dansent Lautréamont et quelques autres au nombre desquels Maxime Lamiroy, écrivain des mers sauvages, emplies de vies animales, végétales et non arpenteur médaillé des piscines. Les mots, l’imaginaire des écrivains des piscines ne brisent pas les murs de ces dernières , leurs eaux mortes. Loin des professeurs de natation, Maxime Lamiroy est un plongeur pélagique.
Véronique Bergen
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