Hospitalisation (Eric Laforge, les premières fois, 2013) February 15 2020
Hospitalisation
“Tu verras ça va bien se passer. De toute façon, on reviendra te voir demain.” Le “…de toute façon…” est de trop. Que veulent-ils dire ? Même si l’opération ne réussit pas, ils reviendront de toute façon, c’est ce que cela veut dire ?
L’opération de l’appendicite aura lieu à 7h du matin. Je suis plutôt du soir d’habitude.
A peine les proches partis en faisant d’interminables au revoir qu’une infirmière arrive. “Vous allez bien ?” Quoi répondre ? On répond oui avec l’envie de dire non. Sinon pourquoi être là si tout va bien. Enfin, ça fait partie des conventions. Elle vient pour les préparatifs. Aucun poil ne doit dépasser. Prise de température, prise de sang et autres manipulations. On essaye de blaguer juste pour se montrer vaillant. Le voisin fait semblant de regarder la télé pendant le cérémonial. Puis de nouveau la chambre se vide.
Rien à faire.
Le temps commence déjà à être long. On découvre alors qu’une heure à l’hôpital durent au moins dix heures. Je vais donc être dans cette chambre pendant une éternité.
On frappe, la porte s’ouvre sans même avoir eu le temps de dire “entrez !” Une autre infirmière, en fait il doit s’agir d’une femme de salle cette fois.
“Ca va ?” Toujours rien de mieux à répondre qu’il y a dix heures. Enfin qu’il y a une heure. “Le repas arrive dans dix minutes.”
Déjà ! Il est quelle heure ?
Mince, la montre est restée dans le sac rangé dans le placard. Il faut se lever. Bien sûr le sac est fermé à clef. La clef est dans le blouson sur le cintre. On monte une expédition pour la retrouver. Il faut se dégager du lit, pousser la petite tablette. La télécommande de la télé tombe par terre et entraîne dans sa chute les magazines qui étaient sur la chaise. Ensuite, il faut mettre les chaussons, direction le placard. Ça y est.
17h45. Autre découverte, on mange tôt à l’hosto. Peut-être pour lutter contre l’ennui.
Des bruits de roulettes qui grincent indiquent qu’effectivement le chariot du ravitaillement est annoncé. Le voisin de chambre se plaint qu’il n’a pas encore faim.
Petit déjeuner à 7h, déjeuner à midi et dîner à 18h. Faim ou pas. Il vaut mieux avoir faim parce qu’il ne sera pas possible de se lever en pleine nuit pour fouiner dans le frigo. Le plateau est posé sur la petite table qui enjambe le lit. Effectivement il vaut mieux avoir très faim pour manger ça. Il doit s’agir de “…L’inévitable purée sur sa tranche de jambon !” Le voisin est arrivé hier, il connaît déjà les us et coutumes.
Le repas occupe un petit moment. Très court. Puis l’ennui.
Alors les idées foisonnent. Ça gamberge. Le chirurgien a dit quelques jours tout au plus. “Vous serez sur pied pour le week-end.” Le voisin de chambre dit que l’appendicite peut évoluer en péritonite généralisée avec un risque de complications infectieuses. Il le sait, son beau frère a eu l’appendicite toutes options l’année dernière. A ce moment là, il faut se persuader que le chirurgien est plus qualifié que le beau frère du voisin.
Enfin c’est inquiétant quand même son histoire.
“Et moi j’ai un anévrisme sur la veine poplité.” Je ne lui avais pas demandé. Du coup il faut relancer la conversation en lui demandant des précisions. La politesse.
La chambre à deux c’est bien et c’est pas bien. Tout dépend du voisin. On peut tomber sur un râleur, un ronfleur, un bavard. Lui est un bavard. Il faudra faire avec. Pour un premier séjour, je m’étais dit qu’une chambre double était préférable. Il y a un côté rassurant à ne pas être seul.
Finalement être deux n’empêche pas de s’ennuyer.
On mange, on bouquine vaguement, puis on regarde la télé. On y découvre des programmes dont on ne soupçonnait même pas l’existence. On avait bien vécu sans. Ensuite on remange, puis on feuillette des magazines de paillettes avec des histoires aussi passionnantes qu’un jour de pluie. On apprend que la princesse Machin sort elle-même son chien le soir avant d’aller dans les dîners mondains. On rallume la télé, un documentaire sur les animaux. Les chiens aiment les princesses.
Le voisin râle “…et c’est pour voir ces conneries là qu’on paye une redevance !” Un râleur. Il faudra faire avec. Cela dit il n’a pas complètement tort, mais bon, s’il éteignait la télé on pourrait se concentrer sur les mots croisés ou sur le dernier Higgins Clark. Histoire de se changer les idées.
Après des jours et des jours, peut-être même des semaines, la nuit finit par tomber. Mollement. La lune n’avait pas non plus envie de venir s’ennuyer. Le voisin râle toujours devant la télé qui couvre à peine les bruits de pas et de portes dans le couloir.
Puis la télé s’éteint.
Il va falloir dormir. Ne pas penser à cette appendicite. Des voix se font entendre derrière la porte. L’infirmière est venue répondre à un patient.
De toute façon ce n’est pas une grosse opération. Le chirurgien l’a bien dit, ce week-end je serai sur pied. Le silence commence à envahir la chambre, puis le couloir et tout l’hôpital. Comme un nuage de brouillard qui envelopperait le quartier. Dans ce silence, les angoisses renaissent. Ne plus y penser, il faut dormir, il est tard.
Du silence.
Ou a-t-il entendu que l’appendicite pouvait évoluer en truc grave ? Il a parlé de péritonite je sais pas quoi … généralisée avec infection. Un coup d’œil vers le voisin. Il dort. Forcément il n’a pas une infection généralisée lui. Il faut se vider la tête et ne plus penser à rien. Zen. Vivement le week-end. Le voisin ronfle. C’est aussi un ronfleur, il faudra faire avec.
Il doit être au moins minuit.
Vivement l’anesthésie, pour dormir un peu.
Eric Laforge (1964-2020)
Les premières fois, Editions Lamiroy, 2013